Marie Anne Modeste AUBERT, trois mariages et plusieurs enterrements

Deux siècles après sa naissance, j’ai effectué quelques recherches sur Marie Anne Modeste AUBERT, mon Sosa 99 (ou, plus simplement, l’arrière-grand-mère de mon arrière-grand-père Emile ACCARIAS).

L’Enclave des papes : quatre communes du département de Vaucluse – Grillon, Richerenches, Valréas et Visan – enclavées dans le département de la Drôme. Un paysage sculpté de collines dont les vignes produisent un vin réputé depuis le XIVème siècle, lorsque le Pape Jean XXII lui a attribué sa guérison.

C’est à Richerenches, dans ce décor de carte postale, qu’est née mon ancêtre, couramment appelée Marie Anne, le 23 février 1825. Elle est la fille d’Augustin Alexis AUBERT et d’Elisabeth Modeste FERREOL. Elle semble être la dernière de la fratrie. Son frère aîné est mort en bas âge et son cadet l’est sans doute aussi, même si je n’ai pas retrouvé sa trace. Marie Anne a donc grandi avec sa sœur Rose Colombe (Rose dans la vie courante), de six ans plus âgée.

Le lieu de sa naissance, Richerenches, est inattendu : ses parents se sont mariés quatorze ans plus tôt à Visan, le village natal de sa mère. Son père, quant à lui, vient de Rochegudes, dans la Drôme, à une quinzaine de kilomètres. Le couple a passé ses premières années de mariage à Visan avant de déménager.

Ce déplacement et tous ceux qui vont suivre révèlent la situation sociale de la famille : ils sont cultivateurs – comme l’immense majorité de la population de l’époque – mais ne sont vraisemblablement pas propriétaires de leurs terres. Ce sont plus certainement de très modestes journaliers, qui se mettent au service de familles plus fortunées et sont contraints de se déplacer au gré du travail disponible. Ainsi, retracer le parcours de Marie Anne est un vrai jeu de piste dont je n’ai pas (encore) identifié toutes les étapes.

En 1836, Marie Anne a onze ans. Elle habite avec ses parents et sa sœur le hameau du Terras, sur la commune de Mondragon, dans la vallée du Rhône. Richerenches est à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau. Faute d’archives disponibles, il n’est pas possible de savoir quand la famille y est arrivée, ni s’ils y sont venus directement ou s’il y a eu des étapes intermédiaires. En août de l’année suivante, elle assiste à Mondragon au mariage de sa sœur Rose avec Alexis Nicolas SALLES, un jeune homme du village.

Le recensement de 1841 m’apprend que Marie Anne et sa famille ont quitté Mondragon. Je n’ai pas réussi à les localiser.

Vignoble du Massif d’Uchaux à Mondragon (Véronique PAGNIER/Wikimedia Commons, Domaine public)

En 1845, je retrouve Marie Anne à Visan, où la famille a emménagé. C’est un retour aux sources pour ses parents, mais une nouveauté pour elle. Par un mercredi matin de juin, elle a 20 ans lorsqu’elle épouse Pierre Joseph SALLES, de huit ans son aîné et lui aussi cultivateur. Les circonstances de leur rencontre n’ont rien d’une énigme : ils étaient beau-frère et belle-sœur depuis un certain mariage à Mondragon huit ans plus tôt ! Aucun des époux n’est en mesure de signer le registre d’état civil. Le couple reste vivre à Visan et six ans plus tard, le 13 septembre 1851, naît leur fils unique Joseph Pierre Alexis.

La vie à trois est de courte durée : le père de famille est emporté le 18 juillet 1852. Accident ou maladie ? Impossible de le savoir. Comme toujours, l’acte de décès indique sobrement qu’il est décédé « dans sa maison d’habitation », même si ce n’est pas forcément le cas. Il avait 35 ans. Marie Anne en a 27 et elle est veuve pour la première fois.

Son bébé meurt à son tour le 27 janvier 1853, à l’âge de 16 mois.

Le Code civil dispose que « la femme ne peut contracter un nouveau mariage qu’après dix mois révolus depuis la dissolution du mariage précédent »1. La seconde union de Marie Anne est célébrée le 25 mai 1853, sitôt ce délai échu. Son nouvel époux est Joseph Louis GABAS, cultivateur de 36 ans. La famille de sa mère est de Visan, mais son père est un tisserand Piémontais. De leur union naissent Marie Louise Modeste – mon ancêtre – le 1er janvier 1855, puis Louis Joseph Alexis le 28 septembre 1856.

Le 17 octobre 1858, son mari meurt à l’âge de 42 ans. Marie Anne en a 33 et elle est veuve pour la seconde fois.

Onze mois plus tard, elle épouse Jean Marcel FERREOL, cultivateur de 38 ans originaire de Visan, avec qui elle a deux autres enfants : Marie Modeste Pauline le 9 février 1860 puis Joseph Noël Marcellin le 22 août 1861.

Lors du recensement de 1866, la famille n’est plus à Visan.

L’église Saint-Pierre de Visan

En 1871, je les retrouve Avignon lorsque Marie Anne assiste au mariage de sa fille Marie Louise Modeste GABAS – mon ancêtre. Agée de 16 ans, celle-ci épouse Joseph ACCARIAS, cultivateur de onze ans son aîné, né à La Motte-en-Champsaur dans les Hautes-Alpes. Le couple émigrera en Algérie quelques années plus tard.

En 1872, d’après les recensements indexés sur Filae, Marie Anne, son mari et son fils n’habitent plus dans le Vaucluse. Je les perds une nouvelle fois ; je suppose que la crise du phylloxéra, qui a décimé les vignobles de la région à cette période, n’est pas étrangère à leurs déplacements successifs.

C’est un nouveau mariage qui me remet sur leurs traces : en 1879, leur fille Pauline épouse Jean Baptiste DUSSAUD à Beaucaire. Ils ne sont qu’à vingt kilomètres d’Avignon, mais en franchissant le Rhône ils ont quitté le Vaucluse pour le Gard, brouillant les pistes encore davantage.

En 1881, Marcellin FERREOL a 20 ans. Cette fois, c’est son recrutement militaire qui me remet de retrouver la famille. J’apprends ainsi que Marie Anne, son mari et leur benjamin sont partis de Beaucaire pour Redessan, tout près de Nîmes. J’en profite pour noter que, comme ses parents, le jeune homme ne sait ni lire, ni écrire. Le recensement de la même année précise que ses parents sont fermiers – comme je le pensais, ils ne sont pas propriétaires des terres qu’ils exploitent – et qu’ils emploient un domestique agricole de 17 ans et un berger de 59 ans.

Marie Anne et son mari demeurent toujours à Redessan en 1886, mais sans leur fils, probablement domestique agricole dans une commune des environs.

En 1891, Marie Anne s’est fixée cinq kilomètres plus loin. Elle vit désormais à Saint-Vincent, hameau de Jonquières-Saint-Vincent, dont elle ne partira plus. Elle a 66 ans et son mari 70, mais elle est seule avec son fils Marcellin, qui souhaite se marier. Bien que majeur, il sollicite le consentement de ses parents via un notaire, ce qui permet d’apprendre que le père de famille est pâtre et vit chez sa fille Pauline, au mas de Faugier, sur la commune de Beaucaire, à quelques kilomètres. Pourquoi le couple n’habite-t-il pas ensemble ? Mystère…

Le notaire se déplace donc au domicile de chacun des parents. Indice de tensions familiales ? Si Marie Anne semble accepter sans difficulté le mariage de son fils, son mari déclare « qu’il [ira] à la mairie mais [refuse] de signer et donner ici son consentement pour des raison à lui particulières ». Marcellin épouse Marguerite LAUGIER le 14 octobre à Beaucaire. Marie Anne est présente, mais pas son mari – qui, en ne s’opposant pas formellement dans les délais impartis, a tacitement donné son consentement.

La chapelle Saint-Laurent de Jonquières-Saint-Vincent (Rey Perezoso/Flickr, CC-BY-SA 2.0)

Par la suite, à en croire les recensements de 1896 et 1901, Jean Marcel FERREOL est revenu vivre auprès de Marie Anne. Il s’éteint le 11 mai 1901, trois mois avant son quatre-vingtième anniversaire. Marie Anne a 76 ans et elle est veuve pour la troisième fois.

Elle-même décède le 25 septembre 1902 à l’âge de 77 ans. Tous deux sont inhumés à Jonquières-Saint-Vincent.

La dernière archive qui la concerne, rédigée le 6 mai 1903, est sa succession (ou « déclaration de mutation par décès », comme le disait l’administration). Ce document, qui semble entièrement basé sur les déclarations de la famille, laisse deviner que tous ses enfants ne sont plus en contact. En effet, contrairement à ce qui est mentionné, Marie Gabas n’est plus « femme Accarias » depuis le décès de son époux en 1897 ; elle est même remariée depuis plusieurs années. De son côté, Louis Gabas, pour qui aucune union n’est mentionnée, vit pourtant avec sa deuxième épouse après avoir divorcé de la première. Mais au-delà de différends familiaux, qui – en plus de leur extrême pauvreté – peuvent expliquer l’émigration des deux aînés vers l’Algérie, comment communiquer quand on ne sait pas écrire et que l’on ne vit pas sur le même continent ?

Marie Anne n’a pas fait de testament ; « la succession ne comprend qu’un petit mobilier » évalué à 30 F, qui n’a pas non plus donné lieu à un inventaire après décès. De ses cinq enfants, quatre lui ont survécu et se partagent cet héritage insignifiant :
– Marie Gabas, épouse d’Auguste TAVERNIER, cultivatrice en Algérie,
– Louis Gabas, époux de Maria LOPEZ, charron à Bedeau (Algérie),
– Pauline Ferréol, épouse de Baptiste DUSSAUD, cultivatrice à Beaucaire,
– Marcellin Ferréol, époux de Marguerite LAUGIER, à Jonquières.

Sur la piste de Marie Anne Aubert

Sources

– Archives départementales de Vaucluse : état civil, recensements de population
– Archives départementales du Gard : état civil, recensements de population, archives militaires, 2 E 82/8381 (minutes de Me Jules VIEL, notaire à Bellegarde), 1143 W 67 (Tables des successions et absences de Beaucaire)
– Archives historiques du Diocèse de Nîmes : décès de Jonquières-Saint-Vincent, 1901 et 1902
– Remonter le temps dans l’Enclave des Papes (en ligne sur Drôme Provençale)
– Code civil des Français, 1804 (article 228, en ligne sur Wikisource)

  1. Cette disposition, assouplie en 1976, est restée en vigueur jusqu’au 1er janvier 2005 (Légifrance, en ligne). ↩︎

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *